Edward Burne-Jones : à la recherche de l’intemporalité
En 1875, Arthur Balfour, homme politique et mécène commande à Edward Burne Jones, peintre membre de la confrérie pré-préraphaélite, une série de tableaux pour décorer son salon de musique, à Londres. Au final, huit panneaux sur les dix commandés seront exécutés. Le peintre s’inspire du poème de William Morris Le Paradis Terrestre pour raconter la vie de Persée en partant de la séduction de sa mère Danaé par Zeus. L’illustration ci-dessus montre le moment où où Persée délivre Andromède du monstre marin et date de 1884-85, il est conservé à la Southampthon City Art Gallery.
L’espace de la série de tableaux relève d’un certain mysticisme caractéristique des symbolistes et qui rappelle les tableaux de Gustave Morreau. Edward Burne Jones revisite les mythes en quête d’une vérité intemporelle. On peut noter ici que le décor fait de rochers diffère des nombreuses représentations du mythe que l’on peut avoir l’habitude de voir. Ici, il n’est pas inscrit dans le temps, ni dans un contexte géographique. Par ailleurs, on peut voir une opposition entre le traitement d’Andromède, nue comme une Vénus antique et le traitement de Persée qui vêtu d’une armure se rapproche de la représentation d’un chevalier médiéval. Autre innovation de ce tableau : Andromède nous tourne le dos, on ne voit de son visage que son profil. Tout au long de ces cycles, le peintre est attentif aux détails et à l’harmonie de l’ensemble. Il attribue à ses personnages des visages-types, beaux et peu expressifs. A travers cette absence d’émotion visible et forcément passagère, l’artiste tend à l’intemporalité.
Le thème du héros affrontant le dragon, ou une autre incarnation du mal, pour sauver ce qu’il y a de plus pur, souvent représenté chez le peintre par une femme, est récurent. Il rappelle les histoires de saint Michel ou saint George et le dragon. Le symbolisme joue avec les ambiguïtés et les ambivalences. Ici, Burne Jones joue avec l’ambivalence des exploits de Persée délivrant Andromède en liant ses gestes à ceux des saints guerriers Michel ou George.
Francesca Palazzeschi
Classé dans Angleterre, Peinture, politique, XIXe
Le Mythe en Poésie: José-Maria de Heredia
Persée et Andromède
Au milieu de l’écume arrêtant son essor,
Le Cavalier vainqueur du monstre et de Méduse,
Ruisselant d’une bave horrible où le sang fuse,
Emporte entre ses bras la vierge aux cheveux d’or.Sur l’étalon divin, frère de Chrysaor,
Qui piaffe dans la mer et hennit et refuse,
Il a posé l’Amante éperdue et confuse
Qui lui rit et l’étreint et qui sanglote encor.Il l’embrasse. La houle enveloppe leur groupe.
Elle, d’un faible effort, ramène sur la croupe
Ses beaux pieds qu’en fuyant baise un flot vagabond ;Mais Pégase irrité par le fouet de la lame,
A l’appel du Héros s’enlevant d’un seul bond,
Bat le ciel ébloui de ses ailes de flamme.José-Maria de HEREDIA in Les Trophées, 1893
José-Maria de Heredia (1845-1905) est un poète français d’origine cubaine faisant partie du Mouvement Parnassien. Toute son oeuvre poétique est condensée en un seul recueil, Les Trophées, composé de 118 sonnets et qui retrace l’histoire de l’humanité. Il se divise en plusieurs groupes: la Grèce et la Sicile, Rome et les Barbares, Moyen âge et Renaissance, Orient et Tropiques, la Nature et le Rêve et les Conquérants de l’or. L’ouvrage fut illustré d’aquarelles originales de son ami Ernest Jean-Marie Millard de Bois Durand. Il fut élu à l’Académie Française suite à la parution du recueil.
Le Parnasse est un mouvement poétique français de la seconde moitié du XIX° siècle en réaction contre le Romantisme. Il refuse les épanchements sentimentaux et l’utilisation surabondante du « Je ». ll prône au contraire l’impersonnalité et le refus du lyrisme. Ils favorisent la distance et l’objectivité en traitant des thèmes tels que l’antiquité, l’histoire, les mythes et les légendes. Ils adhèrent au concept de « l’art pour l’art » énoncé par Théophile Gautier: « Il n’y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien, tout ce qui est utile est laid. » Ils écrivent donc des oeuvres totalement gratuites, débarrassées des revendications sociales et politique des romantiques. Ils recherchent la perfection à travers l’érudition et la maîtrise des techniques littéraires. L’utilisation du sonnet et de l’alexandrin se généralise ainsi qu’un vocabulaire érudit et de vastes cycles poétiques.
Le poème de Hérédia s’inscrit parfaitement dans cette optique: c’est un sonnet (forme fixe composée de deux quatrains et de deux tercets) composé d’alexandrins avec les mêmes rimes embrassées (ABBA) dans les deux quatrains. Il fait partie d’un cycle et a pour sujet un mythe antique. On s’aperçoit ainsi que le mythe de Persée et Andromède a été réutilisé même au XIX° siècle qui préférait pourtant l’expression de ses propres sentiments et s’inspirait plutôt du Moyen Âge que de l’Antiquité.
Camille Bouffiès
Classé dans France, Littérature, Poésie, XIXe
Les gravures de Hendrick Goltzius
Hendrick Goltz, plus connu sous le nom de Goltzius (1558-1617) est un célèbre graveur des Pays Bas espagnols qui permet au maniérisme italien de se développer dans les pays du Nord. Goltzius a gravé le mythe de Persée et Andromède pour illustrer les Métamorphoses d’Ovide en 1583, ces gravures sont importantes car elles ont inspirés un grand nombre de peintres et de graveurs du nord. Une des gravures de Goltzius ressemble d’ailleur beaucoup à l’oeuvre de Wtewael Persée secourant Andromède de 1611 conservé au Louvre à Paris.
En effet on retrouve dans ces deux œuvres la même disposition avec Andromède enchainée qui occupe un coté de la composition sur toute la hauteur, le monstre marin en arrière plan, Persée chevauchant Pégase dans les airs et à l’avant plan aux pieds d’Andromède on retrouve ces éléments de coquillages assemblés à des squelettes.Il se trouve que c’est Wtewael qui c’est inspiré de Goltzius en reprenant cette composition en 1611 pour son tableau en la modifiant quelque peu en y ajoutant quelques éléments.
Pour sa gravure, Goltzius c’est inspiré des œuvres maniéristes du Titien ce qui donne à son Andromède ce corps déformé aux formes serpentines. Goltzius à découvert cet univers maniériste italien lors de son voyage en Italie en 1590-1591, où il reproduit en gravure le célèbre Hercule Farnèse, où est mis en avant la musculature du héros. Dans cette gravure, Goltzius met plutôt en avant le décors et les éléments végétaux qui entourent ce nu féminin. L’expression du visage d’Andromède est aussi très intéressant il est entre la peur et l’espoir. Dans cette gravure il y a beaucoup de mouvement: la mer est déchainée, Persée est en plein combat avec le monstre marin, et Andromède contrairement à de nombreuses représentation n’a pas une pose lascive, elle semble vouloir essayer de se dégager du rocher où elle est enchainée.
L’œuvre de Goltzius fut reprise dans de nombreuses gravures et de nombreuses peintures, comme chez Wtewael, Saerandam, et Matham.
Célia Chettab
Classé dans Autre, composition, maniérisme, Pays-Bas, Peinture, XVIIe
La fantaisie de Piero di Cosimo
Piero di Cosimo, La Libération d’Andromède, 1510, huile sur bois, 70 cm x 123 cm, Florence, Galerie des Offices
Piero di Cosimo (1462-1522) est un peintre italien de la Renaissance Florentine. C’est un artiste qu’on pourrait qualifier d’excentrique pour son goût pour le fantastique, les êtres étranges et les formes aberrantes. Il a en commun avec Léonard de Vinci son goût pour l’observation attentive de la nature afin d’en tirer des « inventions merveilleuses« . Dans ses Vite, Giorgio Vasari parle de lui en ces termes:
« Dans tout ce qu’il a fait, on retrouve son esprit curieux et original; sa propre subtilité a su saisir les subtilités les plus aiguës de la nature. Il travaillait sans mesurer son temps ni ses efforts, seulement pour son plaisir et pour l’amour de l’art. »
– Giorgio Vasari, 1568
La libération d’Andromède a été peinte en 1510 pour le prince Strozzi. C’est un sujet qui lui permet de donner libre cours à son imagination. Il choisit de représenter tous les épisodes du mythe en un seul tableau, un peu comme une bande dessinée. Les différentes scènes s’enchaînent selon une composition circulaire accentuée par la lagune ronde. On aperçoit Persée qui arrive en volant grâce aux ailes de Mercure en haut à droite du tableau. Au second plan, les villageois sont en train de sacrifier plusieurs d’entre eux pour apaiser la colère des dieux. Au centre du tableau, on voit le combat entre Persée et le dragon. C’est cet épisode qui est mieux mis en valeur. Di Cosimo l’a sûrement préféré car il lui permet de représenter un monstre parfaitement fantaisiste: il a une longue queue en écailles, des pâtes palmées dotées de longues griffes, une colerette rouge, un nez protubérant et de longues défenses. Andromède se trouve à gauche, enchaînée non pas à un rocher mais à un arbre, symbole phallique. Au premier plan à gauche, le roi et la reine d’Éthiopie se lamentent avec toute leur cour. Enfin, au premier plan à droite, Di Cosimo a représenté la fête donnée en l’honneur de la libération d’Andromède. Elle court dans les bras de son père, la cour l’acclame en tenant des rameaux d’olivier, symboles de paix. On note également les deux musiciens qui tiennent des instruments tout droit sortis de l’imagination du peintre et impossibles à réaliser dans la réalité. Dernier détail: Piero di Cosimo s’est représenté sous les traits du personnage qui nous regarde en bas à droite.
Di Cosimo reste donc très fidèle au texte d’Ovide. Il se permet toutefois des fantaises (monstre, instruments), donnant libre cours à son imagination. La minutie avec laquelle il représente tout les détails de l’histoire donne au tableau un ton naïf et décalé qui lui est propre.
Camille Bouffiès
Classé dans composition, Italie, monstre, Peinture, Renaissance, XVIe
Mignard et Le Brun: rivalités à Versailles
Pierre Mignard, La délivrance d’Andromède, 1679, huile sur toile, 1,88 x 2,47 m, Paris, Musée du Louvre
Pierre Mignard (1612-1695) est un des plus célèbres peintres classiques français. Après s’être fait connu en Italie, Mignard fut appelé par le roi à la cour où il devint la coqueluche des grandes dames de la cour pour ses portraits et pour ses grandes compositions décoratives. Il y est en rivalité avec le premier peintre du roi: Le Brun. À la mort de ce dernier, Mignard est anobli par le roi et devient à son tour premier peintre. Il était également l’ami des plus beaux esprits de son temps: Molière, Bossuet, Racine, La Fontaine… dont il fit les portraits.
La délivrance d’Andromède, un tableau de chevalet à sujet mythologique, constitue une exception dans l’oeuvre de Mignard. Il lui a été commandé par Louis II de Bourbon, dit Le Grand Condé, en 1676 pour son château de Chantilly. D’après Fénelon, Condé aurait demandé en même temps à Le Brun de peindre un tableau représentant Vénus et Vulcain dans le but de comparer les deux artistes.
Mignard s’approprie le sujet de façon originale. Il choisit de représenter l’instant où le roi et la reine d’Éthiopie remercient Persée pour la délivrance de leur fille Andromède. Ce moment n’avait jamais été représenté en peinture avec autant d’insistance jusqu’alors. C’est la figure de Persée, et non celle d’Andromède, qui occupe l’axe central de la composition. Andromède est reléguée à la droite du tableau, Persée ne prend même pas la peine de la délivrer de ses chaînes, laissant un putti s’en charger. Toute l’attention est portée sur les remerciement frénétiques que reçoit Persée.
Ce choix s’explique dans le contexte d‘intrigues et de rivalités qui baignaient la cour de Versailles. En effet, Mignard donne une signification politique à la scène, conformément au souhait de son commanditaire. Le Grand Condé, pair de France et premier prince du sang, avait été l’un des meneurs de la Fronde. Il réussit toutefois à obtenir le pardon royal et à retrouver un commandement dans l’armée du roi. Il remporta alors de nombreuses victoires pour le compte de la France. Dans ce tableau, Condé veut se montrer comme l’égal de Persée qui, ayant délivré la France de ses ennemis, est en droit de recevoir les plus grands honneurs.
D’un point de vue plastique, cette oeuvre est un parfait exemple du classicisme. Mignard s’inspire du peintre italien Annibale Carrache dont il reprend les couleurs vives, en réaction avec les contrastes forts et sombres du Crarvagisme. Il privilégie une composition simple, en frise, évitant les diagonales de l’art baroque qui brouillent la lisibilité de l’oeuvre. Il porte une grande attention au dessin, les contours sont nets, la touche lisse et la lumière uniforme, contre le traitement privilégié des matières et les effets de couleur et de lumière de l’art baroque. La peinture classique vise à un « idéal de clarté ». Il sert à exalter, dans la monarchie française de plus en plus centralisée et absolutiste, l’exemple du souverain ou des aristocrates.
Camille Bouffiès
Classé dans classicisme, composition, couleur, France, Louis XIV, Peinture, politique, XVIIe